La Distribution de pain (Réfugiés algériens en Tunisie)

Pour la 3e année consécutive, la Matrimoine s'est invité dans les célébrations nationales du Patrimoine qui se déroulent le 3e week-end de septembre depuis 34 ans maintenant. Si pour ajouter de nouveaux étages à l'édifice de la civilisation humaine il n'est pas mauvais d'en interroger les fondations, il est tout aussi important de cesser d'occulter la part des femmes dans cette construction. Occulter leurs idées, leurs combats ou leurs réalisations, c'est minorer la légitimité de leurs actions et les obliger à rejouer toujours la même ritournelle en faisant semblant de la découvrir à chaque fois ! Les femmes de la Révolution française ont participé aux débats, pris les armes et demandé le droit de vote et l'égalité avant d'être réduites au silence et infantilisées par le code Napoléon. Elles sont revenues à la charge en 1848, et encore et encore et encore... L'Histoire restait écrite (et dominée) par le premier sexe qui jetait aux oubliettes la part des femmes. Cette part manquant hante aujourd'hui notre mémoire qui tente de la mettre au jour afin de porter un regard neuf sur le monde et sur ce qu'en font les humains. Si la peinture d'histoire n'a cessé de mettre en couleurs l'hubris masculine, nous avons besoin aujourd'hui de nouveaux récits qui nous racontent la Geste des femmes ! Car souvent sans bruit, dans l'ombre des hommes ou des guerres, elles agissent, prennent des risques, défendent des idées ou des causes, sauvent des vies et se mobilisent pour la justice et la paix.

C'est pour mettre en lumière et faire connaître la Geste de Cécile Decugis que je 50/50 vous propose d'aller à la cinémathèque de Paris ce vendredi 22 septembre afin de découvrir son travail cinématographique et ses engagements qui lui ont valu la prison. Une soirée lui est consacrée, et il en faudrait beaucoup plus pour la faire entrer de plein pied dans l'histoire de la France et de celle du cinéma.
Née en 1930, Cécile s'est éteinte le 11 juin dernier dans un assourdissant silence médiatique. Si elle avait été homme, son portrait aurait probablement allumé quelques milliers de pixels dans la nébuleuse de la toile. En effet, après avoir débuté comme stagiaire de Max Ophuls, elle a monté nombre de films de la Nouvelle vague, contribuant à l'écriture cinématographique de Godard (A bout de souffle, Les Quatre Cent Coups, Tirez sur le pianiste ) et d'Éric Rohmer avec qui elle a collaboré plus de quinze ans (Ma Nuit chez Maud, Le Genou de Claire, L'Amour l'après-midi, Pauline à la plage …)

Mais Cécile Decugis a aussi été une réalisatrice, et une réalisatrice engagée. En 1957, elle tourne Réfugiés algériens en Tunisie, à la frontière entre les deux pays. Elle souhaite alerter l’opinion publique sur la question des algériens obligés de quitter leurs terres à cause de la répression de l’armée coloniale lors de la construction de la ligne Morice. Cette ligne de défense armée a été mise en place à partir de juillet 1957 le long de la frontière entre l'Algérie et la Tunisie. Barbelée, électrifiée, minée et surveillée en permanence, elle courait sur 460 km afin de couper les combattants de l'Armée de libération nationale de leurs bases à l'étranger.

En 1960, la jeune réalisatrice sera condamnée à cinq ans de prison pour avoir permis "à des militants et à des cadres du FLN de se réunir clandestinement" dans un appartement loué à son nom. Détenue à la Petite Roquette, aux côtés de militantes algériennes et de membres de réseaux d'assistance au FLN, elle reçoit de nombreux messages de soutien, en particulier de François Truffaut - signataire de l’Appel des 121 pour le droit à l’insoumission en Algérie - qui se mobilisera de suite et recueillera 20.000 francs pour lui venir en aide.

Par la suite, Cécile Decugis tournera d'autres courts métrages, parallèlement à sa carrière de monteuse. En 2009 elle avait réalisé Renault-Seguin, la fin, une chronique rigoureuse sur la démolition de l'usine Renault édifiée sur l'île Seguin. En 2011, elle produit La Distribution de pain, dans lequel elle réinterroge ses images de 1957 et revient sur la situations des réfugiés algériens, surtout des femmes et des enfants totalement démunis, qui passaient en Tunisie.

Cécile Decugis s'en est allée discrètement, laissant inachevé son dernier film. C'est une étoile de notre Matrimoine qui illuminera la salle Jean Epstein le 22 septembre à partir de 19h30. Soyez nombreux-ses à aller l'observer !

vendredi 22 septembre 2017, 19h30

Salle Jean Epstein
http://www.cinematheque.fr/seance/27779.html