Ainsi soit-elle...

Publié le 11 Juillet 2010

Il y a longtemps que j'avais envie de vous parler ici de Benoîte Groult, de la faire découvrir aux plus jeunes peut-être ! Son livre "Ainsi soit-elle" a été pour moi une source de découverte et de réflexion à la fin des années 70 après que ma professeure de français nous ait parlé des soeurs Groult et du féminisme alors en pleine ébullition. On ne peut que constater qu'il est toujours d'actualité. D'ailleurs je vous livre la préface qu'elle a rédigé récemment pour la réédition de son livre, et qui vient de m'être lue :

 

" L'angoisse devant le chômage, le désenchantement, la lassitude des actions collectives, poussent bien des femmes à se démobiliser. Parvenues au milieu du gué, elles se voient culpabilisées de toutes parts par un antiféminisme qui n'ose pas dire son nom mais qui peut être virulent, car il traduit une angoisse réelle et prend place dans l'histoire des peurs individuelles et collectives. La femme, comme le juif, l'exclu, l'étranger, est devenue une figure de bouc émissaire, qui concentre sur sa personne les fantasmes les plus aberrants. On la rend responsable des dérives de la société, la crise de la famille, la violence, la drogue, la délinquance juvénile. Un antiféminisme d'autant plus efficace qu'il se cache derrière une sublimation de la « vraie femme », cet objet virtuel, ce fétiche qu'on brandit chaque fois que « les femmes en font un peu trop » (Yves Roucaute). Ce retour aux rôles traditionnels est encouragé avec une satisfaction non dissimulée par ces indicateurs sociaux que sont la presse féminine, le cinéma et la publicité. Il n'existe plus un seul journal féministe depuis la disparition de F. Magazine . Évincée la « célibattante » des années 80, la superwoman qui vit sa liberté sexuelle, réussit sa carrière et programme ses enfants. Elle est discréditée au profit d'une féminité décervelée et réduite à sa beauté : le top-model. On est passé de la femme libérée à la femme reféminisée !...

 

A celles qui font confiance aux hommes qui sont au pouvoir pour que les choses s'arrangent peu à peu, je voudrais citer une phrase de Virginia Woolf, encore elle : « L'histoire de la résistance des hommes à l'émancipation des femmes est encore plus instructive que l'histoire de l'émancipation des femmes. » Si elles ne défendent pas elles-mêmes les droits conquis par leurs mères, personne ne le fera pour elles. Et un droit qu'on n'exerce pas est un droit qui meurt. Une liberté dont on oublie le prix est une liberté en péril. C'est pourquoi il n'est jamais trop tard pour lire un livre féministe. Ni trop tôt. Ils n'ont hélas pas pris une ride ! "

 

Il y a quelques semaines, j'ai lu " Mon évasion ", paru il y a deux ans, dans lequel Benoîte Groult revient sur son parcours, ses engagements, ses amours, sa vie de femme et toutes les difficultés rencontrées pour la vivre librement et intensément à une époque où l'on attendait d'abord des filles qu'elles deviennent de gentilles épouses discrètes et des mères dévouées. (Elle parle de ses avortements avec une sincérité qui devrait faire réfléchir les jeunes femmes qui pensent que c'est un droit acquis et inaliénable que celui d'avorter en France aujourd'hui...)

Bien que timide, Benoîte a été élevée par une mère elle-même créatrice et très indépendante - et qui pour faire un lien avec l'article précédent - a contribué à lui forger une image assez solide de mère et de femme. Elle a su tracer son chemin sans sacrifier ni sa vie d'intellectuelle, ni de femme ou de mère. A 90 ans, elle s'interroge aujourd'hui sur la liberté de choisir sa mort quand elle estimera que sa vie sera trop dégradée et qu'il sera temps pour elle d'appuyer sur "la touche étoile"... Questionnement qui revient régulièrement dans les entretiens qui accompagnent mon projet. Dans le grand âge, notre mort nous est la plupart du temps dérobée par ceux qui décident à notre place jusqu'à quel moment notre vie mérite d'être vécue. L'une des cent, qui siège à l'assemblée et s'intéresse de près à ces questions, ne semble pas très optimiste sur les possibilités de voir la loi évoluer rapidement tant ses opposants poussent des cris d'orfraie, comme si légiférer sur l'euthanasie correspondait à " un permis de tuer les vieux "... C'est une question importante sur laquelle nous devons demander à nos représentants de se positionner, et aux futurs candidats de tous bords de réfléchir. Elle deviendra d'autant plus cruciale que si l'espérance de vie continue de progresser ( ce qui n'est pas sûr), il est encore moins certain que nous ayons la possibilité de passer nos dernières années dans de bonnes conditions matérielles dans un futur pas si lointain...

 

Enfin c'est avec " Les vaisseaux du coeur " que je voudrais terminer. Dans ce roman bouleversant et largement autobiographique semble-t-il, Benoîte Groult raconte une histoire d'amour peu banale qui liera profondément ses deux protagonistes pendant 30 ans. Alors que tout les sépare dans la vie, ils partageront une complicité sexuelle rare qu'ils retrouveront toujours avec un immense bonheur au cours de leurs rencontres épisodiques au fil des années. Elle y parle beaucoup de transports amoureux, de ceux qui emmènent les plus chanceux au septième ciel, voire encore un peu plus loin. Mais la fusion intime et jouissive de ces deux corps n'est pas d'abord le frotti-frotta de deux épidermes - aussi agréable soit-il - c'est une expérience qui a engagé tout leur être et qui a transcendé leurs vies. C'est un hymne à l'amour, au plaisir, à la tolérance et à la liberté qui s'associent rarement avec autant de bonheur au cours d'une vie...

Rédigé par opium

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